Pour son premier déjeuner en 2022, le Club a eu le plaisir de recevoir le 11 janvier Sofiea Sakhi et Shafi Karimi, un couple de jeunes journalistes afghans menacés de mort par les talibans et réfugiés en France depuis avril 2021. Après avoir passé six mois à Cholet, ils se sont installés à Paris avec l’espoir de poursuivre leur carrière de manière libre.
Selon une étude de Reporters sans frontières (RSF) avec l’Association des journalistes indépendants d’Afghanistan (AJIA), depuis le retour des talibans au pouvoir en août 2021, 43% des médias du pays ont fermé, mettant au chômage 60% des journalistes afghans et l’essentiel des femmes journalistes afghanes. Sofiea Sakhi, 23 ans, et son mari Shafi Karimi, 27 ans, tous deux journalistes en télévision, ont dû fuir leur pays plusieurs mois avant le retour officiel des talibans au pouvoir après avoir été menacés de mort. “Même avant le retour des talibans, nous n’étions pas en sécurité à cause de Daech, explique Shafi, dans un très bon anglais. Fin 2020, le soir de notre mariage, deux amis et collègues journalistes à nous ont été tués. Peu de temps après, j’ai reçu un coup de téléphone mystérieux d’une femme qui disait avoir besoin d’aide et de justice. Heureusement, les services de renseignement m’avaient alerté que des terroristes faisaient ce genre de fausses demandes d’interviews pour piéger les journalistes et les tuer.”
“Avec le retour des talibans, il n’y a pas d’espoir pour notre génération”
Son épouse, présentatrice d’émissions télévisées pour enfants et musicales, vivait elle aussi dans la peur. “De nombreuses femmes journalistes ont été tuées par les talibans et l’État islamique. Comme j’étais un visage connu à la télévision, ma vie était en danger chaque jour
. Je n’ai pas connu l’ancien régime des talibans mais d’après ce qu’on m’a raconté, ce sont les mêmes méthodes. Il y avait eu des progrès ces dernières années, les femmes avaient par exemple accès à des bourses universitaires. Depuis août on est revenu en arrière, elles ne peuvent plus rien faire: ni étudier, ni travailler, ni faire de sport ou de la musique. Elles doivent rester enfermées chez elles et ne peuvent pas sortir toutes seules ni sans être couvertes totalement avec une burqa. Il n’y a pas d’espoir pour notre génération.“
Passage par la Turquie, accueillis à Cholet
Ils aident leurs proches, eux aussi en danger, à fuir: les parents, frères et soeurs de Shafi se réfugient à Nancy, alors que la famille de Sofiea s’exile aux Etats-Unis, à Philadelphie. En février 2021, Shafi et Sofiea obtiennent un visa pour la Turquie et font leurs bagages. Ils y restent un peu plus de deux mois, le temps d’obtenir un visa de réfugiés en France. Le jeune couple est accueilli à la Maison des journalistes à Paris. “En Afghanistan, Paris et la Tour Eiffel font rêver ! La France symbolise la liberté pour les journalistes, les artistes… C’est difficile d’arriver dans un nouveau pays où on ne connaît personne, ni la langue ni la culture mais au moins on est en sécurité ici”, confie Shafi. Transférés à Cholet en juin dernier par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), ils se sont réinstallés à Paris depuis un mois. S’ils ne parlent pas encore français, ils y travaillent de manière intensive, à raison de cinq heures par jour, quatre jours par semaine. “On aurait bien aimé rester à Cholet mais les opportunités de travail étaient limitées”, avoue Shafi, pigiste pour France 24 et Vice News.
Bientôt une association pour les journalistes afghans réfugiés en France ?
De nombreux journalistes afghans arrivent tous les mois en France. Ils seraient déjà une centaine. Mais beaucoup sont dans une situation très précaire, certains dorment même dans les rues de Paris. Avec la mobilisation notamment de Reporters sans frontières et du Syndicat National des Journalistes (SNJ), Shafi et Sofiea ont pour objectif de créer une association pour qu’ils puissent s’entraider à remplir les papiers administratifs, trouver du travail, un logement… “Nous avons eu de la chance de pouvoir venir en France et d’être bien accueillis. Grâce à cela nous avons l’espoir de démarrer une nouvelle vie ici et de poursuivre notre carrière comme journalistes pour des médias étrangers. On espère pouvoir retourner en Afghanistan un jour mais tant que les talibans seront au pouvoir ce ne sera pas possible.”